Hey, listen ! Wake up. | ft. Rui

« […] devoirs. »
« Hein ? »

Une tête se relève, celle de Zakarias. Plus personne n’est réellement étonnée de sa tignasse ébène ébouriffée, tant le désordre de celle-ci peut s’expliquer par les heures passées entre ses bras croisés. La nuit fût courte. Comme d’habitude. Il y a même des cernes qui viennent gâchés son regard éclatant, alors qu’il se redresse sur sa chaise. Ce fut long, ce cours. Long et barbant. La rhétorique et la diplomatie n’étant pas très intéressantes face à des démons, selon lui. Quelle idée aussi de les mettre en fin de journée, après le sport. Sauf si le but visé est de les achever.
« C’est quoi qu’est demandé ? » lance-t-il à sa voisine, sans réellement se soucier si oui ou non, elle allait lui répondre. Il faut bien avouer qu’il a bien trop la tête dans le pâté pour s’en préoccuper.

Ce qui est notable et il n’y a pas besoin d’être doué en perception pour, c’est de voir à quel point il avait un train de retard par rapport aux autres. À en juger par les rares notes sur sa feuille, il a décroché ; après dix minutes de cours. Une vague question de discours de paix, de mots justes et peut-être un potentiel lien avec les contrats des invocateurs. Une base, quelque chose comme ça. En tout cas, cette feuille était plus blanche que noir d’encre. On pouvait même y voir quelques dessins ; incroyablement sinistre venant d’un personnage aussi enjoué. Des vagues, des parties de corps découpé ou arraché, des yeux sanguinolant, des squelettes, des bateaux brisées en mille morceau ; Zakarias cache ses talents en art plastique, mais aussi ses goûts en matière de “visuel”.

Les dessins sont d’ailleurs plus nombreux que le nombre de ligne copié et fort heureusement pour lui, le professeur n’est pas encore passé dans les rangs pour admirer ses œuvres. Pas encore.

Il ne serait pas sympathique de le considérer idiot, ce professeur.
Il a bien remarqué qu’un élève semblait assoupi et peu investi dans son cours. Il est néanmoins resté à son bureau et il range ses affaires, comme si de rien était. À moins qu’il ait la décence d’attendre que tous les autres sortent pour éviter de l’afficher devant l’ensemble de sa classe. Zakarias n’a pas besoin de lui pour ça, après tout.

Une masse d’élève qui s’évacue petit-à-petit dans un brouhaha collectif. Des discussions entre amis se font, des rires, des soupirs, des interrogations ; chacun vaque à ses occupations comme bon lui semble. À la fin, il ne reste plus que l’apprenti-écuyer et sa voisine. L’un comme l’autre, aucun ne semble pressé. Zakarias semble encore dans les vapes et il commence seulement à bazarder ses affaires dans son sac. C’est un sac assez usé, d’ailleurs. Les coutures s’effilent, quelques morceaux de tissus manquent sur le devant (sans doute l’a-t-il jeté contre un mur trop souvent) et il y a aussi des dessins au feutre noir, blanc, rouge. Des symboles de groupe de musique, d’autres plus obscures, mais probablement en lien avec la culture suédoise, mais à aucun moment son nom.

Son instinct l’alerte cependant sur le fait qu’il va devoir passer devant le bureau du professeur pour sortir et vu ce qu’il en a entraperçu, il n’est pas pressé de passer pour se faire attraper. Alors il traine. Avec un peu de chance, celui-ci sortira avant ses derniers élèves et il sera trop pressé d’aller à sa pause-café pour le rattraper dans le couloir.

Zakarias se frotte la tête et lance d’un air désinvolte : « C’est pas comme si j’avais le choix, de toute façon. » Ça ne tiendrait qu’à lui, il ne le ferait pas. Il ne voit pas l’utilité d’une telle matière, de toute façon. « Deux pages ?! » L’effet d’une douche froide vient de le réveiller plus vite que prévu. Deux pages de gros bobards pour dire simplement “bougez-vous ou vous allez crever”. C’est tout simplement … Inhumain. En plus de bien illustrer le pourquoi il déteste cette matière. Zakarias n’a pas l’impression d’apprendre grand-chose dans ces cours, si ce n’est mentir aux autres. Pour un politicien, il ne dit pas. Ça doit être très utile, voir même vital pour sa notoriété. Pour un chasseur de démons en revanche…

Il n’aura cependant pas le plaisir de râler intérieurement plus longtemps.
Une tape sur la tête vient de couper court ses songes.

« Aïe ! » dit-il par réflexe, plus que par douleur.
Il se frotte la tête et un peu bougon, il dévisage cette blonde de voisine qui n’a aucun tact. Ça ne le vexe pas. En faites, ça lui passe même au-dessus de la tête. À mieux la dévisager, maintenant qu’il avait les deux yeux ouverts, il arrivait à reconnecter son apparence et sa tenue vestimentaire avec les rumeurs qui circulaient. « Chacun son truc pour retenir ou évacuer. Toi visiblement, c’est d’taper les autres. Moi c’est dessiner. » Zakarias hausse les épaules, loin d’être bousculé par ce premier échange.

« T’es qui, au faite ? Enfin ; c’est quoi ton nom, plutôt ? J’peux t’appeler Sakura, mais t’as pas les cheveux roses. » Quitte à faire dans le cliché, autant y aller à fond. Une japonaise qui à l’air aimable comme une porte de prison et qui s’amuse à taper sur les autres : il n’en faut pas plus pour que ses maigres références sur la culture nippon fassent le reste et trouvent un surnom à sa camarade de classe. « Je suis un homme de terrain et d’action. J’apprend avec la pratique et pas avec la théorie, le cul vissé sur une chaise. Cela dit, j’ai un peu de mal à concevoir que je vais devoir écrire deux pages de discours pour baratiner un pauvre gars aveugle, paumé et qui va manquer de mourir au prochain croisement parce qu’il n’est pas capable de voir la menace. Prétexter un immeuble sur le point de s’effondrer ou une fuite de gaz, ça ne prend pas deux pages. »

C’est ça, ce qu’ils doivent faire, non ?
Trouver des prétextes pour que la zone soit évacuée.
Il vient de le faire et en moins de deux lignes.

« Est-ce que c’est vrai que tu as serré le garrot de quelqu’un tellement fort qu’ils ont dû l’amputer ? » Rien à voir, mais puisqu’il a la personne en face de lui pour vérifier la véracité des rumeurs, autant en profiter !